Le moment colonial en islam méditerranéen. La tentation de l’Occident. Daniel Rivet

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Par Daniel Rivet

Daniel Rivet « Le moment colonial en islam méditerranéen. La tentation de l’Occident » dans Islam en Europe/Islam d’Europe, actes de l’université d’été tenue par le M.E.N, août 2002, publications de la DESCO, 2003.

A priori, les musulmans étaient peu préparés mentalement et psychiquement à comprendre la nature de la domination (dont l’entreprise coloniale est la version extrême) que l’Europe va exercer sur eux en Méditerranée. Ils la ressentent d’abord comme la reprise des croisades et de la reconquista ibérique et la subissent comme une inversion insoutenable de la protection (himâya) exercée par eux sur chrétiens et juifs dans la cité musulmane. Pourtant, à travers les premiers récits de voyage d’Egyptiens ou de Maghrébins en Europe, on perçoit que la fascination se mêle au rejet, parfois dégoûté, de la « civilisation des mœurs » européenne. Sur la rive nord de la Méditerranée, au contraire, ce n’est pas l’ignorance, mais la volonté de savoir qui s’enfle depuis le XVI° siècle. Elle engendre au XIX° l’orientalisme, qui est à la fois une science académique, une inquiétude quasi métaphysique sur ses origines (le détour par l’autre pour accéder à soi) et un usage de l’Orient, une esthétique. L’orientalisme produit une image de l’Orient, invente, en quelque sorte, un homme oriental, qui n’est pas le double de l’occidental, mais son contraire. Or, à partir du milieu du XIX°, cette représentation de l’Orient par les Européens a des effets, soit que les premiers orientaux biculturés cherchent à se conformer à ce que les spécialistes européens de l’Orient attendent d’eux, soit qu’ils la rejettent et que, d’une certaine manière, ils cherchent à se définir négativement, à émettre sur eux-mêmes une contre-image, à inventer un contre-Orient qui, plus tard, avec les islamistes, tourne à la recherche d’une alternative à l’Occident, à l’invention d’un contre-Occident.

Les développements qui suivent ont pour objet de révéler quelques uns des jeux de miroir auxquels se livrèrent européens et orientaux, des années 1830 à l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire le long du siècle marqué par l’hégémonie de l’Europe en Méditerranée musulmane, depuis la prise d’Alger en 1830 jusqu’à la reprise de Smyrne en 1922 par Mustapha Kemal, qui, symboliquement, marque la fin de l’expansion territoriale de l’Europe dans cette aire de l’islam méditerranéen. Cette histoire du jeu des représentations entre l’Occident et l’Orient musulman souffre d’être sous-analysée. Il y a un non dit qui n’est pas mis à jour. Et un mal de dire qui emprunte d’étranges détours pour sortir du cachot des mots refoulés. Il fallait lire, dans le courant des années 1980, les commentaires http://espanaviagra.net/viagra/ en français ou en arabe crayonnés sur les ouvrages portant sur le monde musulman dans une bibliothèque universitaire de province pour mesurer combien les blessures narcissiques ouvertes par l’ère coloniale continuent à saigner.

Position du problème : le scandale de la colonisation pour le croyant

Etre colonisé par l’Européen, en effet, c’était pour un musulman :

- Irrecevable canoniquement : les notions de ahl al kitâb (gens du Livre) bénéficiant dans la cité islamique de la protection des vrais croyants (la dhimma), de dar al islâm (maison de l’islam) et dar al harb (territoire de la guerre car peuplé d’infidèles) génèrent un « tolérantisme dédaigneux des musulmans pour les gens du Livre » (Louis Massignon). C’est que le christianisme, pour les musulmans d’antan (et d’aujourd’hui encore, sauf la frange la plus acculturée à l’Occident), n’est qu’une version antérieure et imparfaite de la religion à laquelle accèdent les croyants d’Allah dans sa forme finale et complète, grâce au message coranique. Qu’un protectorat puisse être exercé par des chrétiens sur des musulmans en terre d’islam (Tunisie et Maroc) est un paradoxe inconcevable : pire, l’envers scandaleux de ce qui doit être canoniquement. Les oulémas – ces veilleurs dans la « nuit coloniale » (Ferhat Abbas) – maintiennent une acception de l’Autre forgée à travers une grille de compréhension strictement confessionnelle : kâfir (infidèle, impie), nasrâni (nazaréen, chrétien).

Observons là qu’il s’agit là de normes prescrivant ce qui doit être, sans pour autant administrer ce qui est : la relation conflictuelle avec l’Autre. Et que ces catégories d’intelligibilité du chrétien ne résistent pas à l’épreuve du contact colonial. Lentement, le rûmî (romain, chrétien) se mue en colon fourrier d’une civilisation énigmatique dont le capitalisme est le maître-mot. Ajoutons que le chrétien présent au Maghreb jusqu’au XII° siècle reste une figure familière en Orient, tantôt dispersé à travers un territoire (en Palestine, en Syrie), tantôt rassemblé en minorité compacte (maronites dans la montagne libanaise, coptes en haute Egypte, assyro-chaldéens dans le district de Mossoul…). De plus, aller chez le chrétien n’est nullement interdit (harâm), mais seulement répréhensible (makrûh). Alors que l’islam est quasiment absent du paysage de l’Europe de l’Ouest et le musulman de passage, enturbanné et emmitouflé dans ses mousselines blanches, un objet de curiosité dans la rue à Londres, Berlin ou Paris.

- Inacceptable historiquement. A l’ouest, depuis la grande alerte du XV° et début du XVI° siècle, les Maghrébins restent sur le qui vive, dans l’attente d’une reprise de la reconquista. Alger se dénomme fièrement « boulevard de la guerre sainte ». Les Etats barbaresques sont d’abord armés pour et légitimés par le jihâd défensif contre les Etats européens. L’étranger vient de la mer et donc la menace à laquelle il est associé provient du nord. Au Maroc, le terme pour désigner le ministre des Affaires étrangères au XIX° est éclairant : ouazir al bahr (ministre de la mer).

A l’est, une prise de conscience de la puissance des Etats chrétiens s’opère à partir du traité de Karlowitz en 1669. L’Europe cesse d’être perçue par les Ottomans comme une terre peuplée d’infidèles à conquérir, à convertir. Puis, se fait jour le sentiment d’un déclin lorsque la Crimée, en 1783, échappe définitivement à la Sublime Porte : c’est un événement symétrique à la perte de l’Andalousie. Enfin, agit le double coup de semonce de l’expédition d’Egypte et de la prise d’Alger. Jusque là l’empire ottoman, épié par la diplomatie européenne (Venise la première) et à l’analyse spectrale duquel s’échinent philosophes et hommes d’esprit, affichait une superbe indifférence pour l’Europe chrétienne. La révolution française, dans sa dimension anti-religieuse et subversive d’une hiérarchie sociale fondée sur la croyance en un ordo mundi découlant de la révélation, épouvante l’élite du pouvoir. C’est le premier mouvement social et intellectuel à avoir un écho en terre d’islam, à la différence de la Renaissance, de la Réforme et des Lumières passées inaperçues [1].

Les musulmans ont vu arriver le rûmî (romain, byzantin) ou ifranj (le franc, le croisé), mais ils interprètent à chaud les débuts de l’ère coloniale comme une reprise de la croisade à l’est, de la reconquista à l’ouest. Et non pas comme le commencement de quelque chose de totalement nouveau, porteur d’un régime d’historicité auquel nul ne parvient à échapper. Ainsi l’expédition d’Alger en 1830 est ressentie comme un nouvelle descente, à la manière ibérique, sur un port dont on convoite le trésor : un ghazu.

- Intolérable existentiellement. Aux XVII° et XVIII° siècles, les renégats et les levantins (bourgeois marchands établis dans les échelles du Levant et les ports des régences barbaresques), constituent une minorité en trait d’union entre les deux rives. Une langue médiane - la lingua franca - matérialise la réalité d’échanges qui ne sont pas seulement marchands. Mais lorsque l’Europe commence à déverser en grappes serrées, d’Alexandrie à Alger, les hommes en trop de ses montagnes méditerranéennes, que la faim jette à la mer, alors les réactions de rejet et de xénophobie se multiplient. D’autant que de Crimée, du Caucase, des Balkans et aussi d’Algérie refluent en Anatolie et en Syrie des musulmans émigrés pour la foi (muhâjirûn) porteurs de sentiments violents à l’égard des chrétiens indigènes ou immigrés. Ces derniers nouveaux venus s’insinuent au cœur des villes. Ces plébéiens ne sont pas des citadins. Ils ne respectent pas le code de politesse locale, encore moins les frontières de la pudeur (al hudûd al hishma) qui définissent le rapport entre masculin /féminin et donc entre espace public et intime. Les débuts de la colonisation virent dès lors au drame de civilisation. [2]

Car ces essaims de colons se comportent en intrus, en conquistadores : pour l’Algérie il suffit de se reporter aux témoignages successifs d’Eugène Fromentin (vers 1850), Lyautey (1880), Isabelle Eberhardt (1900), qui, tous trois, ne sont pas des anticolonialistes doctrinaires. Dès lors, les musulmans de bon ton se claquemurent à l’intérieur de leur dâr forteresse et s’enferment dans des conduites d’évitement et de dénégation. Ils font comme si le rûmî n’existait pas. Ils l’ignorent. Ils évitent d’en parler entre eux. Ils fuient son regard. Ils sont inaccessibles et opaques, comme le donnent à voir nombre d’observateurs européens de l’époque.

Orientalisme/occidentalisme : un jeu de miroirs (1820-1880)

En Europe, la peur du Mahométan reflue sans jamais s’effacer, surtout aux confins marqués par la lutte séculaire contre le « Grand Turc » ou contre les Maures. Au musulman est attaché une représentation très chargée. D’être sectateur fanatique d’un faux prophète, voire d’un imposteur. De se soumettre sans murmurer à l’autorité arbitraire et capricieuse d’un sultan ou pacha. De mener une existence alanguie accablée par l’excès des plaisirs : sofas, almées, eunuques…Mais la peur de l’islam n’exclut pas la fascination pour les musulmans, ni même un désir d’Orient que met en relief la réception, dans les salons du XVIII°, de la traduction des Mille et une Nuits par Galland entre 1704 et 1712. [3]. Cette fascination de l’islam est l’un des ingrédients majeurs de l’orientalisme, ce courant désignant à la fois une métaphysique (l’Orient, clé de l’énigme humaine) et une sensibilité attentive à un art de vivre spécifique et traversant successivement la Renaissance, l’âge classique, les Lumières et le Romantisme, avant d’être tué par le colonialisme. Au début, il privilégie l’Orient monothéiste (biblique et coranique). Puis courant du XVIII°, il le déborde : c’est l’Orient second révélé par les Jésuites en Chine et la traduction de la littérature védique grâce à la connaissance acquise du sanskrit.

Pour s’en tenir à l’islam, il y a un Orient de la Renaissance : quand l’autre, le plus proche géographiquement, le musulman, n’est plus l’hérétique détesté et parfois envié, mais, déjà, matière à enquête et à réflexion sur soi. Puis un Orient du classicisme : quand l’européen va vers la différence pour s’assurer de soi-même et savourer la distance culturelle (affirmation d’un exotisme à travers la mode de la turquerie). Auquel succède un Orient des Lumières usant du monde ottoman comme d’un miroir pour se faire peur (le despotisme oriental), se rassurer (l’Orient en retard), se faire plaisir (le café, les odalisques, la « volupté orientale » rançon de la « paresse orientale »). Le XVIII° est travaillé par un dilemme qui ne sera tranché qu’à l’âge du scientisme d’inspiration positiviste. L’Orient contemporain, ce n’est pas nous ou plutôt ce n’est plus nous : l’Orient homérique et biblique. Mais c’est notre origine, notre berceau. Et, dans cette perspective, l’islam fait figure de tard venu, d’usurpateur même. Pour retrouver nos origines, il faut creuser sous cet écran islamique pour atteindre le tréfonds commun aux Orientaux et aux Européens.

Cette lecture des origines de l’Europe laisse une chance à l’islam s’il veut bien entrer dans le mouvement de civilisation où l’Europe avance à grands pas et ainsi rattraper un retard qui n’est pas congénital. C’est le sens assigné à l’expédition d’Egypte par Bonaparte : remettre en état de marche historique un Orient arraché à sa torpeur par un grand homme législateur à la manière de Mahomet. Mais il y a une autre vision de l’Orient consistant à affirmer que les hommes d’Orient sont d’une espèce irréductiblement différente : déjà La Boétie affirmait qu’à Istanbul on quittait l’humanité pour entrer dans un parc à bestiaux. Paradoxalement, c’est le Voyage en Syrie et en Egypte de Volney, la première enquête que nous puissions qualifier de scientifique au sens contemporain, qui abat, quelque part en Méditerranée, cette frontière imaginaire entre Orient et Occident, légitimant non pas seulement la colonisation en soi, mais la partition du genre humain en deux espèces : l’européen et l’indigène. Car chez cet idéocrate lu par Bonaparte avant l’expédition d’Egypte, l’Orient devient le passé de l’Occident et ce dernier l’avenir de l’Orient. Le XVIII°, quoi qu’il en soit, départage l’Orient de l’Europe, le saisit comme son double antagoniste, pense l’homme européen contre l’oriental et se rengorge déjà de sa supériorité : « L’Europe est désormais à l’abri de toute nouvelle incursion des Barbares. En effet avant de la conquérir, ils devraient cesser d’être barbares », opine Gibbon.

L’Orient des Romantiques ne se réduit pas à la fantasmagorie élaborée par nombre d’artistes pour lesquels il est « matière de songe » (Paul Valéry), encore que certains, à la différence de Hugo, aient basculé d’un Orient imaginaire à un Orient vécu dont témoignent bien la métamorphose de l’œuvre de Delacroix avant et après son séjour au Maroc en 1832 (comparez Sardanapale et Femmes d’Alger) et l’existence de Rimbaud : « Je retournais à l’Orient et à la sagesse première et éternelle ». L’Orient islamique (les deux termes s’amalgament étroitement à partir du moment où l’indianisme et la sinologie se détachent de l’orientalisme qui, originellement, désignait indifféremment l’Orient proche et extrême) est pensé dans l’ambiance intellectuelle et politique qui prélude à l’ouverture, en 1840, de la « question d’Orient » qui, de fait, est plutôt la question de l’Occident, de sa place dans le monde et de sa légitimité à imposer son modèle de civilisation. Tous s’accordent à considérer qu’il y a eu un moment islamique dans l’histoire universelle. Certains estiment que l’ « homme malade de l’Orient » (Nicolas 1er à propos de l’empire ottoman) est entré dans une décadence incurable et qu’il y a un abîme infranchissable entre eux et nous. C’est le cas d’un Guizot qui pense et agit comme si l’Europe devait se forger sans l’islam, contre l’islam. De même Tocqueville et Lamartine dans le grand débat parlementaire sur l’Orient du 2 juillet 1839.

Mais d’autres conjecturent que l’Orient peut être arraché à la décadence où il croupit. Ce sont eux qui s’intéressent passionnément à l’entreprise de transfert de civilisation opérée par le pacha Muhammad Ali en Egypte dans le courant des années 1820-1830 et lui prêtent le costume de héros civilisateur, en somme de Bonaparte oriental. Ceux-là estiment que l’Europe doit être le levier d’une « renaissance orientale » (Edouard Quinet) à la manière dont les Arabes ont été à l’origine de la Renaissance au XVI° siècle. C’est ainsi qu’à l’occasion de la distribution très solennisée des prix récompensant les premiers stagiaires venus d’Egypte à Paris pour apprendre les sciences et les arts, le géographe Jomard - un ancien membre de l’Institut d’Egypte - déclare : « Votre sort est digne d’envie, vous êtes appelés à opérer la régénération de votre patrie, événement dont dépendra le sort de la civilisation en Orient. Quelle destinée plus belle pourrait flatter des cœurs sensibles à la vraie gloire et animés d’un amour sincère du pays natal. Puiser au milieu de la France, puiser, à pleine source, ces lumières de la raison et des lettres qui élèvent si haut l’Europe au-dessus des autres parties du monde, c’est reconquérir pour votre patrie les bienfaits des lois et des arts, dont elle a joui durant tant de siècles ; l’Egypte dont vous êtes députés, ne fait, pour ainsi dire, que recouvrer ce qui lui appartient, et la France, en vous instruisant, ne fait qu’acquitter, pour sa part, la dette contractée par toute l’Europe envers les Peuples de l’Orient » [4].

Jusque vers 1860 on trouve des groupes actifs, influents d’islamophiles et d’arabophiles en France. Les premiers appartiennent surtout à la Franc-maçonnerie, dont l’ambition a toujours été de rapprocher et d’unir les hommes d’Orient et d’Occident. On mesure l’audience de cet idéal au fait que nombre de musulmans appartenant à la classe dirigeante fréquentent alors les loges maçonniques qui essaiment de Salonique à Tunis sur tout le littoral est méditerranéen. Le pouvoir d’attraction de la Franc-maçonnerie s’exerce, par delà les musulmans les plus frottés d’européanité et à tournure d’esprit laïcisante, sur des musulmans, si j’ose dire intégralistes, tels l’émir Abd el Kader après sa reddition à la France et le shaykh réformiste-religieux Jamâl Al Dîn al Aghanî.

Les seconds peuvent être illustrés par le cas des saint-simoniens. On sait qu’une branche de la secte opère comme une sorte de fuite en Egypte, en 1832, sous la houlette d’Enfantin, le « Père » à la recherche de la « Mère », entreprise qui revêt des accents crypto-coloniaux : l’Occident mâle, l’Orient femme, la Méditerranée « lit nuptial » des deux archétypes du genre humain, le canal de Suez acte érotico-tellurique pour sceller cette union. Mais ce qui met en branle quelque 150 jeunes gens pour la plupart issus des grandes écoles parisiennes et une poignée de femmes féministes dans la mouvance d’Enfantin, c’est la volonté de rapporter à l’Orient les lumières de la civilisation grecque dont il fut le dépositaire au Moyen Age et le transmetteur à l’Europe. De même que l’Europe doit aux Arabes sa renaissance, de même les Arabes seront régénérés grâce à la transfusion de civilisation initiée par Bonaparte en Egypte, continuée par le pacha et à laquelle ils veulent concourir. En bâtissant le barrage du delta, ils aspirent initier à la société industrielle le fellah et précipiter l’avènement du socialisme auquel l’Egypte est prédestinée par le fait que la société y est disciplinée par la crue du Nil et éduquée par le despotisme civilisateur du pacha industrialiste. Et la poignée de saint-simoniens qui survit à la peste et résiste au désenchantement né de pareils malentendus entre Enfantin et le pacha va concourir très activement à la formation d’une élite technicienne et savante du cru, dont 800 ingénieurs des irrigations formés de 1835 à 1882. Un Lambert Bey, initiateur de l’école polytechnique de Boulâq, un docteur Perron, directeur de l’école de médecine, ont été des précurseurs de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les transferts de technologie. Leur impact sur un milieu restreint, mais actif, de hauts fonctionnaires (tels un Ibrahîm Adham ou un Abd ar Rahmân Rusdî), officiers et ingénieurs, est considérable. Le saint-simonisme, à partir des années 1860, s’indigénise. Ce sont des Egyptiens désormais qui le propagent par le relais de sociétés savantes telles que la société d’économie politique ou la société khédiviale de géographie, sans compter les premiers salons francophones du cru.

Des Européens vont en terre d’islam avec le projet de concourir à sa régénération. Des musulmans vont chercher le savoir en Europe pour opérer, de retour chez eux, un transfert de civilisation matérielle. C’est le cas des missions égyptiennes envoyées à Turin, à Paris, à Berlin de 1809 à 1849 : 349 élèves dont une bonne centaine à Paris et dans des écoles d’application militaire en province au début des années 1830. Sur ces missions, nous disposons de deux témoignages très topiques.

D’abord celui de Rifa’at al Tahtâwî, l’imam de la première mission qui séjourne à Paris de 1826 à 1831 et renouvelle le genre arabe du récit de voyage (rihla) dans un ouvrage (L’Or de Paris) introduisant la capitale dans l’imaginaire des lettrés arabes comme Fenimore Cooper la prairie dans celui des Européens à la même époque [5] . Le cas de Tahtawi illustre le fait qu’il n’y a pas encore de coupure entre le milieu azharien éclairé du Caire et les saint-simoniens ou orientalistes qui assument en eux la part d’oriental qu’il y a en tout Européen. Ce sont des azhariens en effet qui constituent une part considérable des élèves de l’école polytechnique et de l’école de médecine, en attendant l’école normale généraliste de dâr al ‘ulûm (1872) et l’université Fu’ad (1908). Il n’y a pas encore, au Caire comme à Tunis, de barrière étanche entre les lettrés en islam et les initiés à la culture matérielle de l’Europe. C’est seulement au paroxysme du moment colonial que s’opérera la scission entre « clercs traditionalistes et rétrogrades » et « musulmans ouverts au progrès et évolués » pour emprunter au langage d’époque dont usaient diplomates et journalistes. L’Or de Paris est d’abord un plaidoyer, mieux, un manifeste pour légitimer la quête de la science chez les Chrétiens. Un éloge de l’art de vivre des Parisiens parce qu’agrémenté de toutes sortes de commodités matérielles et de libertés concrètes, dont le shaykh dresse un inventaire admiratif et informé grâce au contact avec les intellectuels du cru : académiciens, orientalistes… On s’arrache les Egyptiens dans les salons par un effet de mode qui aura des effets loin en aval dans le XIX° siècle. Ce sont ces intellectuels qui lui font comprendre, sur la lancée de Condorcet, que la civilisation n’est pas un état statique, mais un processus évolutif, une dynamique du changement. Et notre shaykh de renoncer, pour traduire civilisation, au terme khaldounien de umran et d’adopter celui de tamadûn : littéralement le fait de s’urbaniser, l’action entreprise pour entrer dans le cycle du progrès.

Ensuite le témoignage romancé d’Alî Mubârak, un jeune égyptien envoyé sous le second empire se perfectionner dans l’art militaire à l’école d’artillerie de Metz après l’X, et qui sera ministre des Travaux publics, puis de l’Instruction publique à la fin de l’Egypte khédiviale et au début de l’indirect rule britannique [6]. Ce qui nous intéresse ici, c’est de constater que Mubârak retourne le genre du Voyage en Orient qui devient, par un effet de miroir renversé, le Voyage en Occident aussi initiatique que son modèle initial. Mais en entreprenant, avec la collaboration du corps des ingénieurs des irrigations, un recensement analytique très fouillé, quasiment encyclopédique, des villages et des quartiers des cités en Egypte en 20 volumes (les Khitât), Mubârak fait pendant également à la Description de l’Egypte en 12 volumes des savants de l’Expédition de 1798-1802. Les savants de Bonaparte faisaient l’inventaire d’un pays à conquérir. Mubârak, qui est marqué par la pensée de Le Play et identifie dans le village égyptien l’équivalent de la famille souche du créateur de la société d’économie sociale, dresse le bilan d’un long demi-siècle de construction nationale sous l’effet du procès de civilisation amorcé par Muhammad Alî et poursuivi par ses descendants.

L’Europe est présente en islam méditerranéen également par le relais des chrétiens grecs, arméniens, maronites éduqués dans des collèges religieux tenus par des ordres enseignants catholiques (les jésuites à Beyrouth, les dominicains à Mossoul, les lazaristes à Damas, etc.) et des missionnaires protestants américains qui, les premiers, traduisent la bible en arabe, introduisent l’imprimerie en Syrie et jouent un rôle considérable dans la renaissance linguistique (nahda) qui libérera la langue arabe de son moule archaïque et la fera sortir des cercles de rhéteurs engoncés dans le dire des grands ancêtres.

Un fait commun caractérise tant les jeunes ottomans (yeni osmanlilar), qui constituent des groupes informels de discussion, que les égyptiens et tunisiens dans les années 1860/1870 : c’est leur volonté de traduire les catégories de pensée qualifiant l’Europe libérale dans le lexique de la civilisation musulmane. Les idées-force qui régissent la société moderne ont des équivalents dans la pensée coranique et l’éthique musulmane. C’est une façon pour eux de neutraliser ce que ces schèmes de penser et manières de sentir comprennent d’inacceptable pour les croyants qu’ils continuent à être et d’éluder la révolution mentale qu’impliquerait leur adoption sans transposition. Indiquons ici quelques exemples d’acculturation, c’est-à-dire d’adaptation à l’islam ottoman, du patriotisme en version libérale qui submerge l’Europe. Commençons par la trilogie de 1789. Ils traduisent liberté par huriya : le fait de n’être ni esclave, ni dhimmi, ni femme. Et ils affirment, comme Tahtâwî, que la huriya, c’est l’équivalent de ce que la pensée musulmane classique nomme la justice et équité (al ‘adl wa’ l’insâf). Pour en déduire que le sujet a droit d’être traité justement. L’égalité ? Ils font ressortir que l’islam est une religion qui n’admet ni caste sacerdotale, ni noblesse : pas d’ordres, pas non plus de classes, lorsqu’ils prennent la mesure de la question sociale en Europe. Quant à la fraternité, cela va de soi : en islam, on est tous frères. De même assimilent-ils le gouvernement représentatif, donc parlementaire, à la vieille tradition remontant au Prophète de consultation des meilleurs de la communauté par le prince (shura) et font-ils coïncider le principe électif à l’usage (périclité depuis la fondation de l’islam) d’acclamer le nouveau souverain après avoir négocié avec lui les conditions de son accession au pouvoir (la bay’a). Enfin, ils tracent une équivalence entre le terme de watan, signifiant lieu de naissance, pays natal, homeland, et le vocable de patrie. Ils se gardent de donner un contenu au régime politique qu’ils appellent de leurs vœux. Ils éludent le terme de république (jumhûriya), familier pourtant au monde ottoman en relations étroites avec Venise et Raguse. Au fond, ils ont une préférence pour une monarchie parlementaire oligarchique, où ils exerceraient une influence dans le sens d’une modernisation à vitesse lente. Ils se considèrent comme les nouveaux oulémas de leur siècle, éclairés par la science européenne dans ce qu’elle a d’acceptable pour la raison islamique. Ils appellent donc du sultan d’Istanbul, du khédive d’Egypte ou du bey de Tunis une constitution (dustûr) qui n’instituerait nullement l’exercice d’une citoyenneté, mais garantirait les droits fondamentaux d’une élite. En germe, ils constituent un courant libéral-musulman et, dans cette optique, ils assimilent les « droits naturels » invoqués par les hommes de 1789 aux fondements du droit pratique (‘usûl al fiqh) qui régule l’économie du lien social en terre d’islam.

De l’utopie colonisatrice à l’impérialisme colonial : le miroir brisé

A partir du dernier tiers du XIX° l’Europe assombrit, quand elle ne les ensauvage pas, les musulmans. Ce changement de perception de l’islam a une double traduction : vulgaire ou commune (l’air du temps) et savante (l’esprit du temps).

Air du temps : la détérioration de l’image de l’islam se mesure à des explosions périodiques d’islamophobie. Celles-ci se manifestent chaque fois que l’islam, acculé à la défensive par le débordement colonial croissant de l’Europe, se contracte et réagit violemment à l’intrusion de l’étranger. Il en est ainsi au début des années 1880. Tout se passe alors comme si l’islam de l’intérieur, bédouin, guerrier et mystique, venait au secours de l’islam méditerranéen, citadin, marchand et pacifique, submergé par les Anglais en Egypte en 1882, par les Français en Tunisie en 1881 et inquiété çà et là par le concert des Puissances de Salonique à Tanger. L’épisode de la mahdiya au Soudan, culminant avec l’assassinat de Gordon en 1885 à Khartoum, impressionne, terrifie même l’opinion européenne tenue en haleine par la grande presse en pleine phase d’émergence. Les progrès de la confrérie marchande et combattante de la Senousiya sur l’axe Benghazi-sultanats du Sahel, l’agitation dans le sud-oranais personnifiée par Bou ‘Amama, le raidissement du régime ottoman sous les coups de boutoir de Vienne et Moscou, le panislamisme qui va lui servir d’idéologie défensive : on croit en Europe à une action concertée téléguidée par le sultan Abd ül Hamid. Entre la dénonciation des menées du « fanatisme musulman » à la fin du XIX° et la peur phobique de l’islamisme un siècle plus tard, il y a un effet de concordance des temps saisissant.

Au lendemain de 1918, l’effervescence en islam méditerranéen signalée par la révolution kémaliste, la grande campagne de désobéissance civique lancée par le parti nationaliste du Wafd en Egypte, la revendication de l’application des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes par l’émir Khaled en Algérie, les poussées insurrectionnelles des Rifains et des Druzes engendrent une nouvelle grande peur du panislamisme, confondu avec le pansoviétisme et le pangermanisme. On se figure que la volonté de revanche des peuples oubliés par les traités de paix est orchestrée par cette nouvelle figure du Grand Turc : le bolchévisme, pour beaucoup un fléau, à l’instar de l’empire ottoman, pire que la peste.

Mais la peur de l’islamisme (vocable des années 1880 pour désigner l’islam) à la fin du XIX° tapisse en profondeur les recoins de l’imaginaire européen et relève d’une symptômatologie plus compliquée. Ce qui joue, c’est la retombée de la ferveur orientaliste antécédente. L’Orient en quête de modernité orientale n’est plus qu’une caricature pour les esthètes de l’Orient authentique. En pleine fureur de destruction hausmannienne, le Caire contemporain de l’ouverture du canal de Suez inspirait déjà bien du désenchantement aux amoureux de la ville mamelouk. « Amer savoir, celui qu’on tire d’un voyage » (Baudelaire). Flaubert se désole : « Si j’étais plus jeune, si j’avais de l’argent, je retournerais en Orient pour étudier l’Orient moderne, l’Orient « isthme de Suez ». Je voudrais écrire un civilisé qui se barbarise, un barbare qui se civilise ». C’est le mélange raté des civilisations qui trouble les Européens férus d’Orient.

Ce qui pèse de tout son poids sur le jeu croisé des représentations, c’est évidemment le rapport colonial qui dégrade la relation entre hommes d’Orient et d’Europe. Quand la colonisation, d’abord réparatrice du désordre introduit en Islam par l’irruption de l’Europe, s’alourdit en perdant ses raisons d’être originelles, elle se métamorphose en colonialisme (pour faire bref, rappelons la formule de Jacques Berque : « Le colonialisme, c’est le père vaincu et le moi humilié »). L’exotisme qui s’insinuait dans la culture de masse balbutiante en Europe se mue en folklore dégradant de l’homme et de la femme musulmans. La carte postale est à l’image du courant pictural orientaliste sur son déclin : en Afrique du Nord la série « scènes et types » enregistre et précipite ce moment où le musulman se réduit à n’être plus qu’un indigène. Mieux encore, on retourne les valeurs fondatrices du vivre-ensemble musulman. Ce que les voyageurs d’antan admirait est désormais déprécié, condamné. L’ascétisme des pieux musulmans est stigmatisé : retrait du monde de traînards de l’histoire. Leur foi au Dieu unique ressort au mieux de l’esprit de résignation, au pire du fanatisme. Leur sens de l’hospitalité procède de la vaine prodigalité. Leur fidélité aux solidarités primordiales ressortant de la parentèle et de la tribu génèrent le népotisme et interdisent l’émergence du sens de l’intérêt public…Toutes les vertus reconnues aux musulmans arabes et soulignant leur filiation avec les hommes de l’Antiquité sont désormais montées en épingle comme des traits d’archaïsme, de civilisation décadente, condamnée à être transformée de l’extérieur par l’introduction de colons, pionniers de l’Europe civilisatrice.

Esprit du temps : pareille représentation reçoit une caution scientifique avec Renan, dont la contribution à l’habillage savant de cette imagerie est double [7].

D’une part, il achève d’abattre la ligne de partage entre races sémitiques et aryennes. Il est vrai que la race, chez Renan, c’est la langue, l’habitus, l’histoire et non le sang : « Le Turc, dévot musulman, est de nos jours un bien plus vrai Sémite que l’Israélite devenu français, ou pour mieux dire, européen ». Il soutient que les Sémites sont nos cousins, mais dont l’évolution s’est arrêtée, comme si l’invention du monothéisme par Moïse et Mahomet avait épuisé leur faculté de faire l’histoire. Il imagine que la jonction entre peuples sémites et indo-européens a été opérée par Jésus, cet « homme admirable » dont le génie est d’avoir inventé un « polythéisme doux » recevable par les indo-européens, auxquels leur panthéon originel a appris à se mouvoir dans le multiple, donc dans la pensée de la complexité. Et d’oser affirmer : « La Bible a ainsi porté des fruits qui ne sont pas les siens ; le judaïsme n’a été que le sauvageon sur lequel la race aryenne a produit sa fleur ». Pour comprendre cette étrange, inquiétante construction, il faut se rappeler que Renan a voulu répondre à l’interrogation qui lancine les hommes de son temps sous le choc des progrès de la philologie et de l’archéologie : comment peut-on être sémite par la religion et indo-européen par la langue ?

D’autre part, au soir de sa vie, Renan procède à une relecture de l’islam en tant que civilisation, qui, de fait, en est une condamnation sans appel. Sa conférence en Sorbonne portant sur l’Islamisme et la Science (le 29 mars 1883) est un manifeste contre l’islam stigmatisant la « chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée ». L’islam - affirme-t-il en substance - est surévalué : sa contribution à l’histoire universelle est surfaite. Les lumières qu’on lui attribue à l’époque abbasside ou du califat omeyyade de Cordoue ne sont pas endogènes. Excepté Al Kindi, les philosophes arabes sont des persans, des ibériques, des vaincus convertis en façade. Le mérite de l’impulsion scientifique et littéraire de l’époque revient pour l’essentiel à des lettrés nestoriens et sages zoroastriens, qui ont transfusé dans le milieu de cour, à Bagdad et Cordoue, l’esprit grec et le ferment iranien. Il en résulte que l’islam, figé depuis près d’un millénaire, est incapable d’évoluer. Il faut - il est vrai - circonstancier cette charge implacable contre un monothéisme que Renan à ses débuts épargna. D’une certaine manière, ce procès contre l’islam est une condamnation de la religion en soi et ricoche immédiatement sur le catholicisme : « Galilée n’a pas été mieux traité par le catholicisme qu’Averroès n’a été traité par l’islamisme. Galilée a trouvé la vérité en pays catholique, malgré le catholicisme…Comme Averroès a philosophé noblement en pays musulman, malgré l’islam ».

On touche là à une spécificité du rapport de la France avec l’islam due à l’ampleur sans pareille de la sécularisation qui affecte l’Etat et la société au XIX°. En Grande Bretagne, le milieu savant et l’élite dirigeante ont une vision beaucoup plus nuancée de l’islam : surtout les spécialistes en contact avec l’Inde qui ne sont pas loin de penser que l’islam est un stade d’évolution de l’humanité intermédiaire entre l’Inde pleine de dieux et à opacité vertigineuse et l’Europe. En Afrique sahélienne, des administrateurs coloniaux, toute nationalité confondue, estiment que le musulman sera l’éducateur des Noirs. Entre l’Asie barbare et l’Afrique sauvage, l’islam est pensé comme civilisation intermédiaire et ensemble géo-politique tampon. Mais c’est à coup sûr en Allemagne qu’on trouverait à l’époque l’évaluation la moins chargée de l’islam : question d’affinités entre le protestantisme et l’islam et entre le Prussien et le Turc ? C’est ce que fait valoir la propagande allemande à l’époque du Kaiser Guillaume, le « Hadj Guilloum » des Algériens impressionnés par les spectaculaires visites de l’empereur à Jérusalem en 1898 et à Tanger en 1905. Mais si on creuse plus profond sous l’écaille de la conjoncture, on constate que les protestants qui, dans la controverse avec la catholicité, ont été soupçonnés d’être de nouveaux musulmans, ont de la sympathie pour l’islam, ce déisme sans saints, cette religion sans clergé, cette croyance sans dogmatique explicite.

Si on se tourne maintenant du côté des musulmans de la rive sud de la Méditerranée, on découvre qu’au cours du premier XX° siècle, deux visions de l’Europe se superposent et s’ignorent. Celle des hommes du peuple, en général très négative. La plupart des simples gens traversent l’ère coloniale murés dans leur foi, retranchés dans une négation passionnée de l’Autre. Leur réprobation des étrangers est essentiellement morale : ils font des choses honteuses, ils sont au-delà de toute pudeur. Dans Justine, le maître-livre du Qattuor d’Alexandrie, Lawrence Durrell constate à propos d’un chauffeur de taxi égyptien prenant en charge le narrateur et une jeune femme : « Le chauffeur nous épiait dans le rétroviseur. Les émotions des Blancs, se disait-il peut-être, sont étranges et excitantes. Il regardait comme on regarde des chats faire l’amour » [8]. Au même moment Muhammad Ibn Al Hassan Al Hajwi, un grand notable marocain choisi par les autorités du protectorat pour participer aux fêtes de la victoire en 1919, déplore l’exhibition d’actrices lyriques sur la scène de l’opéra de Paris : « Il y a là le produit …d’une liberté sans limite et du relâchement de la pratique religieuse, en particulier chez les femmes. Celles-ci ont rejeté le lien de pudeur et s’exhibent sans vergogne au point qu’il ne leur reste plus qu’à pratiquer, comme les animaux, le coït en public » [9].

Pour les ruraux, moins frottés de contacts coloniaux, l’européen revêt parfois les traits d’un être surpuissant, mais maléfique : ogre (ghûl), monstre de la fin des temps. Mais on peut tout de même s’en accommoder : « Le commerce du chrétien est comme le labour d’un marécage : il y a toujours quelque chose à en extraire », affirme un dicton marocain à l’aube du protectorat. Cependant perdure l’espoir d’en être débarrassé par une intervention miraculeuse de Dieu. Cette certitude nourrit une culture millénariste liée à l’attente du prince de la fin des temps (le mahdî : le bien dirigé) qui remettra à l’endroit le monde qui était à l’envers et terrassera les impies et les faux croyants. Et les musulmans du petit peuple - pour qui tout est signe et non pas tout est grâce comme pour les chrétiens - décryptent les signaux annonciateurs de ce retour.

Et puis, il y a la vision de l’Europe qu’on trouve chez tous ceux qui accèdent à un savoir sur celle-ci : les occidentalistes en somme, qui ne sont pas des experts comme les orientalistes, mais des hommes qui font l’expérience pratique de l’Europe sur le tas, à l’école, dans une caserne, dans l’émigration laborieuse en France (la ghurba) qui est une émigration à l’envers de celle des colons : pour la soupe (shurbâ). Ou bien qui sont des membres de l’élite élevés dans un bain d’européanité. Entre les gens d’en haut et les gens de peu, un commun dénominateur : l’apprentissage de l’Occident (le taghrîb) n’est plus un périple initiatique dangereux - mais ludique et exaltant comme au premier temps - mais une épreuve angoissante dont on ne sort nullement indemne. « Quiconque va en France est un mécréant (kâfir) ou du moins un hétérodoxe (zindîq) », affirme-t-on en Egypte à la fin du XIX°. Il est significatif que Taha Husseïn, le chantre de l’ouverture de l’Egypte sur la Méditerranée, narre dans son roman Adib ou l’aventure occidentale [10] la perdition d’un jeune homme qui va partir quêter le savoir à Paris. S’occidentaliser, c’est risquer de s’aliéner, de devenir fou. Le lexique arabe est ici chargé : gharb ou l’ouest, gharîb : étrange, exotique, insolite, gharaba : s’éloigner, émigrer, s’occidentaliser, reléguer, exiler, ightirâb : l’éloignement, l’aliénation, istighrâb : l’étonnement, la perplexité, l’occidentalisation.

Nul lieu d’acculturation comme l’école à l’européenne n’engendre autant la sensation d’une confrontation déchirante entre deux univers culturels cloisonnés au risque d’un dédoublement de la personnalité, d’un conflit intérieur entre le cœur tourné vers l’est (qalb sharqî) et la raison qui penche à l’ouest (‘aql gharbî). Le romancier algérien Kateb Yacine rappelait que son père, en l’inscrivant à l’école des Français, eut le sentiment de le « jeter dans la gueule du loup ». Il s’agissait par cet acte contre son for intérieur de s’approprier le français comme langue de l’urgence et de l’émergence, de dominer cette langue qui les dominait. Mais sa mère, également lettrée en arabe, n’approuva pas ce choix de se rendre à la culture de l’autre, parce qu’on ne pouvait plus faire autrement. Elle ressentit douloureusement l’infidélité que lui infligea son fils qui apprenait désormais sans elle avec l’institutrice française. Elle fut exclue de ce capital scolaire qui s’ajoutait à la formation initiale de son fils sur laquelle elle avait veillé de près. Le fils fut meurtri par cette seconde rupture du lien ombilical : « ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et son langage ».

L’école coloniale, pour beaucoup d’enfants en Afrique du Nord, d’abord débroussaillés à l’école coranique ou juxtaposant les deux au prix d’horaires ahurissants, ce fut le lieu de confrontation de deux récits de fondation du monde, de deux codes de savoir-être, de deux pédagogies surtout. Au kutâb, le maître d’école joue sur l’apprentissage mnémotechnique, fait ânonner des bribes du Coran, dans un local dépouillé à l’extrême, à des élèves accroupis autour de lui en demi-cercle. C’est une opération où joue la proximité avec le sacré (la réitération de la descente du saint coran, la récitation incantatoire de sourates) et une pédagogie de la peur (la falaqa : grand bâton flexible beaucoup plus intimidant que la règle en bois du pédago républicain). A l’école primaire pour indigènes ou au collège franco- musulman, le maître (parfois une maîtresse) officie dans un local orné de cartes de géographie, d’images illustrant le civisme républicain et de planches de sciences naturelles, où les élèves sont assis en carré face à lui. Il associe le par cœur avec l’apprentissage raisonné des savoirs. Il y a une récréation, des jeux éducatifs : on apprend aussi en jouant.

La comparaison n’est pas en faveur du kutâb. L’enfant prend conscience de la distance qui se creuse entre deux univers mentaux et deux constructions psychiques antagoniques. Il dissimule à ses parents ce qu’il découvre à l’école et qui contredit les croyances des adultes. Sur la société européenne, à 10 ans, il en sait bien plus que ses parents illettrés. Souvent, il apprend à l’école de l’étranger la dénégation de ses origines et jusqu’à la haine de soi. Il passe de l’autre côté du miroir et devient un étranger à sa propre société. C’est là un risque de l’« aventure ambiguë » (Cheikh Hamidou Kane) que mesurent avec angoisse les parents. Mais cette assertion doit être nuancée. Bien des musulmans scolarisés à l’époque coloniale apprennent à bricoler un compromis culturel entre les deux sphères. Des maîtres, des professeurs qui pressentent ce drame culturel les aident à ajuster cet équilibre transactionnel entre les deux mondes. Pour illustrer cette familiarité acquise entre enseignants et élèves et le jeu des connivences qu’elle suscite, retenons cette anecdote : quelque temps après la déposition du sultan Mohammed ben Youssef par les colons ultras du Maroc, un élève du collège Moulay Youssef, alors qu’il longe le palais royal en compagnie d’un de ses professeurs français, lui glisse à l’oreille : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ! ».

Pourtant la multiplication des « occidentalistes » ne favorise pas le dialogue entre hommes des deux rives. Des techniciens de la France coloniale échafaudée en tant que « grande puissance musulmane » s’efforcent d’aller à contre-courant de la peur de l’islam sur laquelle trébuchent les musulmans qui s’ouvrent à la culture de l’autre : un Lyautey qui sait si bien parler de l’islam citadin et lettré ou bien Jonnart, grand gouverneur indigénophile de l’Algérie à la Belle Epoque, lorsqu’il affirme avec panache qu’il n’y a pas de fossé irréductible entre l’islam et le christianisme, devant un parterre de grands colons imprégnés par le discours ambiant sur le choc des civilisations [11]. Il n’empêche : une imagerie négative de l’islam s’installe en Europe depuis le dernier tiers du XIX°. Elle contribue à la construction d’un contre-occident par les hommes cultivés sur l’autre rive.

S’élabore la représentation d’une Europe victime de sa puissance matérielle et dépourvue d’âme, tranchant avec l’Orient érigé en zone-refuge sauvegardant les valeurs primordiales de l’humanité et prodiguant à l’Occident - comme le martèle le grand orientaliste catholique mystique Louis Massignon - une « leçon de monothéisme et de transcendance ». C’est qu’entre orientalistes du début du XX° et réformistes religieux musulmans, il y a eu un véritable dialogue : en particulier avec les Allemands moins marqués que les Français par la sécularisation. Les orientalistes fabriquent un homo islamicus de toutes pièces à partir des textes normatifs de l’islam qu’ils collationnent et à l’exégèse desquels ils se livrent avec un professionnalisme qui faisait cruellement défaut à Renan. L’image de l’islam-civilisation est positive, flatteuse même. Un Ignaz Goldziher (1850-1921) considère que l’islam est la forme de monothéisme la plus pure, la plus achevée : « la seule religion qui puisse convenir à nos têtes philosophiques ». Un Heinrich Becker (1876-1933) estime que l’islam, qui a emprunté beaucoup à l’hellénisme chrétien, a réussi là où ce dernier avait échoué : « La théocratie islamique est la concrétisation d’un idéal auquel avait tendu jusqu’alors vainement le christianisme ». Les uns et les autres, Anglais, Allemands, Français, Hollandais, qui oeuvrent à la première Encyclopédie de l’islam, que suspendra la première guerre mondiale, convergent dans l’idée que l’islam est une religion du salut en commun, qui s’adresse moins au croyant qu’à l’être en société, et le véhicule d’une communauté politique. Bref, l’islam est religion et monde, religion et Etat : une idée-force qui inspirera dans l’entre-deux-guerres l’égyptien Hassan el Banna, le fondateur des Frères musulmans. L’islam, d’une certaine manière, est plus rationnel et cohérent que le christianisme : il ne s’insinue pas par surprise dans le monde tout en se situant en extraterritorialité par rapport à lui pour le subvertir et le convertir. Il est de ce monde et fonde, sans détour, un empire : une « théocratie laïque et égalitaire », soutient Louis Massignon (1882-1962).

Les réformistes religieux intériorisent la construction de ce type-idéal du musulman à la grande époque par les orientalistes. Ils ne comprennent pas que le moteur de l’histoire de l’Europe, c’est la sécularisation : mot encore quasiment intraduisible en arabe (sauf sous la plume d’intellectuels chrétiens de la nahda). Ils sont pressés par les orientalistes allemands d’entrer dans le même mouvement de réformation du christianisme que l’Europe du Nord au XVI° siècle. Et, à partir du shaykh Jamal al Dîn al Afghani, cela devient un lieu commun de prédire que telle grande figure du courant réformiste sera le Luther de l’islam. Ce dialogue se poursuit après 1918, mais en se raréfiant. Ainsi entre Louis Massignon et Mohammed Iqbal, indien musulman humaniste biculturé marqué par la lecture de Bergson et de Nietzsche.

C’est pourquoi, à la première génération de réformistes religieux rouvrant avec audace « les portes de l’interprétation » (abwâb al ijtihâd) dans les années 1880-1910 (coïncidant en gros avec le magistère spirituel et intellectuel exercé par le shaykh Mohammed Abduh à la mosquée-université d’Al Azhar) succède une deuxième génération qui rejette de plus en plus catégoriquement l’Europe au nom d’une vision moraliste du devenir des civilisations. Cette deuxième vague de réformistes religieux personnifiée par Rachid Rida, le successeur d’Abduh, Ben Badis, Allal el Fassi, etc. exalte l’arabo-islamisme et n’est plus en phase avec le mouvement de la pensée européenne, ne fut-ce que pour corriger les scories de son discours sur l’islam : Afghani avait répondu à Renan en 1883, Abduh reprit vertement, en 1900, Gabriel Hanotaux obsédé par l’impuissance des races sémitiques à évoluer. De Rashid Rida on glisse sans rupture à l’association des Frères musulmans créée en 1928 par Hassan al-Banna, un instituteur égyptien bilingue, mais semi-cultivé, ayant pris en horreur la civilisation occidentale, ou du moins sa version caricaturale à Port-Saïd où il est en poste. Le mouvement de fermeture du tajdîd (renouvellement de fond en comble) se dessine dès l’entre-deux-guerres. Aucune redéfinition du rapport Orient/Occident ne sera formulée de l’intérieur de l’islam depuis Mohammed Abduh.

Il est vrai que deux évènements symétriques fracassent les chances de rapprochement des angles de vue : le non avènement, malgré les promesses faites par Londres, d’un grand royaume arabe au Proche Orient après 1918 et l’abolition du califat par Mustafa Kemal en 1924. A quoi faut-il ajouter la prise de conscience, grandissante, à partir des émeutes arabes à Jérusalem et Hébron en 1929, de la menace que représente l’établissement, depuis 1922, d’un foyer juif en Palestine. Les musulmans se sentent orphelins depuis la disparition d’un guide au temporel et au spirituel qui symbolise l’aspiration à refaire l’unité perdue de l’umma. Ils tiennent, au Caire en 1926 et à Jérusalem en 1931, les premiers congrès islamiques dans une atmosphère passionnelle, où l’Europe est mise au banc des accusés, bien avant le déferlement d’anticolonialisme d’après 1945. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis par les Alliés, qui parlaient au nom de la démocratie et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils ne croient plus à la charte fondatrice de la SDN et, plus tard, à l’ONU ou bien ils feignent d’y adhérer pour des raisons tactiques [12].

Du même décrochage avec une raison universelle et la croyance que l’humanité est en marche vers le progrès, témoignent les plus occidentaux des hommes d’Orient : ceux qui ont été formés sur les bancs de l’école, des collèges, des universités européennes. Eux glissent dans une acception étroite et ethnicisée de la nation qui est un hommage explicite à la conception allemande de la nation : le peuple arabe préexiste à l’islam, qui est la plus belle invention du génie de la race arabe. A s’être affranchi des Turcs, il doit s’extraire par la violence du colonialisme (al isti’mâr) auquel les Français s’accrochent bien plus que les Anglais. Ce courant arabo-historique ne se distingue pas toujours nettement du courant arabo-musulman, comme en témoignera plus tard le nassérisme. Une pensée national-révolutionnaire (celle de la thawra) succède à celle du courant libéral-musulman en gestation sur la lancée de la pensée de la nahda. Elle est influencée par les idéologies autoritaristes de la première moitié du XX° siècle : le léninisme et aussi le fascisme. A leur instar, la pensée de la thawra se propose et s’impose comme une grande religion séculière derrière son paravent islamique.

Le courant libéral-musulman, lui, se rétrécit comme peau de chagrin au fil de l’après 1945 à l’épreuve de la décolonisation. Il préconisait, à l’instar d’un Taha Hussein, une ouverture sur le commun humanisme antique teinté d’une forme propre à l’islam de personnalisme. On peut le rapprocher du kémalisme dont l’autoritarisme l’éloigne par ailleurs. En réalité, le kémalisme reconduit le programme des premiers réformistes laïcisants du milieu du XIX° : il s’agit en l’occurrence d’ « appartenir à la nation turque, à la religion musulmane et à la civilisation européenne » comme le stipule un député à la grande assemblée d’Ankara.

Seul ce courant libéral-musulman - personnifié en Egypte par l’essayiste et journaliste Lufti Al Sayyid, l’écrivain et universitaire Taha Hussein, l’homme de lettres Tawfiq al Hakîm – avait mesuré que pour se confronter au défi de la pensée occidentale, l’Orient arabe avait à entreprendre un gigantesque décentrement mental et une déchirante révision de ses valeurs. Le courant réformiste-religieux, qui fournit le tuf de la culture de base des masses en formation, passe à côté de l’épreuve de la confrontation de soi avec soi au contact de l’autre. Il se crispe rapidement sur une défense apologétique de l’islam. Comme l’illustre le cas de Mohammed Abduh, (1849-1905) qui en est la figure de proue. Certes Abduh, frotté d’Occident par l’exil que lui infligent les Anglais d’abord à Paris, puis à Beyrouth, tête de pont de l’Europe au Proche-Orient, regarde avec sympathie la civilisation européenne. Ne décrète-t-il pas qu’à Paris il n’y a pas l’islam, mais des musulmans (des hommes éclairés par les lumières de la Raison, ce que doivent être les vrais croyants) et qu’au Caire, il y a l’islam (comme un décor et un linceul), mais plus de musulmans. Certes, il délivre fatwa sur fatwa autorisant les musulmans vivant en terre non musulmane à se vêtir et se nourrir à l’instar des indigènes du pays d’accueil ; d’aucuns diraient qu’il privilégie l’esprit sur la lettre. Mais cet homme qui lit Hugo, Zola et Tolstoï, écrit aussi un plaidoyer en 1898 pour démontrer la supériorité de l’islam sur le christianisme : Al islâm wa-l-nasrâniyya ma’a l-‘ilm wa-l-madaniyya (L’islam et le christianisme au regard de la science et de la civilisation : traduction non littérale). L’islam est supérieur au christianisme, parce qu’il vient après et qu’il corrige certains excès de son prédécesseur : il est plus rationnel et plus près des hommes tels qu’ils sont. Il ne leur propose pas un idéal de vie inatteignable. Cette apologétique se ressent de l’évolutionnisme européen ambiant. La révélation a eu lieu par étapes. La succession des prophètes a correspondu à une éducation degré par degré de l’humanité. Mahomet correspond au dernier et plus haut degré. Seulement les musulmans ont perdu le sens originel de l’islam. Il leur faut donc revenir à leurs origines, comme les protestants ont voulu retourner au christianisme primitif [13]. En somme, il s’agit d’esquiver les problèmes posés par la crise de conscience de l’Europe depuis le XVIII° siècle et d’éluder la confrontation avec le processus de sécularisation qui agit la société colonisatrice. Il faut résoudre la crise non par moins, mais par plus de religion [14].

Peut-être, ce qui a bloqué dès la fin du XIX° siècle les penseurs de l’islam dans leur tentative d’aggiornamento, est-ce la proximité de l’Europe ? L’islam n’est pas ce tout autre pour l’européen qu’est le bouddhisme ou le confucianisme. Islam et christianisme sont enchevêtrés et comme pris dans une structure de pensée gémellaire. Ils s’exaspèrent d’être aussi contigus. Tout emprunt à l’autre, toute adoption ou acception d’un des traits culturels de l’un déclenche chez l’autre des crispations identitaires, des rejets irraisonnés fondés sur la peur de cet autre qui est d’abord un voisin, se réclamant du même héritage monothéiste.

Daniel Rivet « Le moment colonial en islam méditerranéen. La tentation de l’Occident » dans Islam en Europe/Islam d’Europe, actes de l’université d’été tenue par le M.E.N, août 2002, publications de la DESCO, 2003.

Notes

[1] Bernard Lewis, « Les répercussions de la Révolution française en Turquie » dans Le retour de l’Islam, Paris, Gallimard, 1985, pp. 67-98. Du même auteur Comment l’Islam a découvert l’Europe, Paris, La Découverte, 1984.

[2] v. mon ouvrage Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette-Littératures, 2002, p. 40-48.

[3] Laurent Wauquiez-Motte, La réception des « Mille et Une Nuits » dans les salons au XVIII° siècle, mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Paris 1, 1996 (bibliothèque du Centre de Recherches Africaines)

[4] Jomard, « Ecole Egyptienne de Paris », Nouveau Journal asiatique, août 1828, p. 102-103, cité par Anouar Louca, Voyageurs et écrivains égyptiens en France au XIX° siècle, Paris, Didier, 1970.

[5] L’Or de Paris de Rifa’at al Tahtawi a été excellemment traduit de l’arabe par Anouar Louca avec édition critique à l’appui chez Sindbad en 1988.

[6] Gilbert Delanoue, Moralistes et politiques musulmans dans l’Egypte du XIX° siècle (1798-1882), Institut Français D’Archéologie Orientale du Caire, 2 vol., 1982. Dans ce grand livre d’islamologie appliquée à l’histoire, on trouve également un chapitre très substantiel consacré au shaykh Rifa’at.

[7] Maurice Ollender, Les langues du Paradis. Aryens et sémites, un couple providentiel, Gallimard/Seuil, 1988, pp.74-102.

[8] Lawrence Durrell, Justine, Le Livre de Poche, 1963, p. 382.

[9] Muhammad Ibn Al Hassan Al-Hajwi, Voyage d’Europe. Le périple d’un Réformiste, traduction et post-face d’Alain Roussillon et Abdellah Saâf, Casablanca, Afrique Orient, 2001, p. 52.

[10] Traduit et édité chez Clancier/Guenaud.

[11] Charles-Célestin Jonnart, discours du 16-12-1912 cité par Ali Merad, Le Réformisme musulman en Algérie, Paris, Mouton, 1967, p.43.

[12] Pour un tableau du Proche Orient dans les années 1920, se reporter à la synthèse d’Henry Laurens, L’Orient arabe, arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Paris, Armand Colin, 1993. Du même auteur un essai éclairant pour comprendre le chassé-croisé entre orientalistes et occidentalistes : Le Royaume impossible. Genèse de la politique arabe de la France, A.Colin, 1991.

[13] V. Muhammad ‘Abduh dans E.I. 2 (Encyclopédie de l’Islam 2), VII, p. 419 et sq.

[14] Hichem Djaït, « La pensée arabo-musulmane et les Lumières », Le Débat, n° 42, nov. Déc. 1986, p. 134-144.