Sylvain Gouguenheim, mis au ban de l’Université par la bien pensance. Christine Tasin

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Propos recueillis par Christine Tasin

[Riposte Laique - Numéro 42 - L’INTERVIEW DE LA SEMAINE - Date de mise en ligne : mardi 20 mai 2008] Copyright © Riposte Laique

- Riposte Laïque : Sylvain Gouguenheim, spécialiste du Moyen-Âge, vous venez de publier un ouvrage : Aristote au mont Saint-Michel, les racines grecques de l’Europe chrétienne, qui vous a valu les foudres d’un certain nombre de vos collègues. Pourriez-vous d’abord, en quelques phrases, préciser aux lecteurs de Riposte Laïque vos objectifs et les conclusions auxquelles ce travail vous a mené ?

- Sylvain Gouguenheim : Mes objectifs étaient de rendre accessibles au grand public un grand nombre d’articles et de travaux érudits dispersés dans des revues spécialisées, autour d-un problème assez difficile : celui de la redécouverte par les hommes du Moyen Age du savoir grec antique. J’en suis venu à la conclusion qu’à côté de l’intermédiaire arabe, indiscutable, avait existé une autre voie, celle reliant directement l’empire byzantin et le monde européen. Il y a aussi, les spécialistes le savent bien, le rôle de centres culturels comme la Sicile ou Antioche.

Mon idée est double : les lettrés du Moyen Âge (du VIIe au XIIe siècle environ) ont cherché à retrouver les textes des lettrés et des savants grecs, il y a donc une cohérence et une continuité dans l’attitude des lettrés européens de cette époque. Dans cette quête, la recherche directe de textes grecs dans le monde byzantin est plus importante qu’on ne le croit (je rappelle que Byzance était bien en partie en Europe puisque cet empire englobait la Grèce !).

Dans ce processus les traductions et les commentaires effectués au Mont Saint Michel ne sont pas à minimiser. Il faut y ajouter le rôle des Arabes chrétiens, des Syriaques. Je me suis enthousiasmé pour les moines du Mont saint-Michel, fort bien connus certes, mais dont le rôle au début du XIIe siècle m’a semblé méconnu du grand public.

Riposte Laïque : Un collectif international de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen-Âge vient de rendre public une pétition vous concernant. Ils prétendent tout d’abord que vous vous appuyez sur de "prétendues découvertes", lesquelles ?

Sylvain Gouguenheim : D’abord, la pétition n’est pas un mode normal de discussion scientifique. Je ne prétends pas faire de "découverte", puisque je passe mon temps à citer d’autres auteurs (il suffit de lire mon livre pour s’en rendre compte), mais j’ai vu des manuscrits, ceux du Mont Saint Michel - qui étaient déjà connus - et j’ai été convaincu, après examen, de leur importance.

Riposte Laïque : Pourquoi vous font-ils grief de faire porter votre étude sur la période du VI au XII siècle ?

Sylvain Gouguenheim : Je ne sais pas car j’explique bien que le problème que j’étudie n’existe plus aux XIIIe-XIVe siècles ni par la suite : l’Europe, le monde arabe ou turc ont évolué et le problème ne se pose plus dans les mêmes termes.

Riposte Laïque : On vous reproche des erreurs, qui, aux yeux du non-spécialiste, semblent des détails, qui ne seraient des fautes que dans une thèse universitaire. Votre ouvrage se veut-il un ouvrage de référence pour les étudiants ou bien un ouvrage de vulgarisation destiné au grand public ?

Sylvain Gouguenheim : Ce n’est pas un ouvrage de référence. C’est un essai de vulgarisation de problèmes historiques difficiles. Le sujet comporte beaucoup de problèmes annexes. La question des rapports entre les civilisations ne peut être tranchée de manière rapide, dans un sens ou dans un autre. Les chemins par lesquels l’héritage grec a circulé en Europe, à Byzance, dans le monde abbasside sont complexes. Il y a certainement des choses à découvrir encore. La vulgarisation est une entreprise difficile, qui expose à commettre des erreurs, et que l’on critique parfois un peu vivement. Pourtant elle me semble indispensable.

Riposte Laïque : On vous reproche également, et surtout, car tel semble être le noeud du problème, de déboucher sur du racisme culturel. Que pouvez-vous répondre à cette accusation ?

Sylvain Gouguenheim : Je ne comprends pas : je souligne des points communs et j’essaye de comprendre des différences entre les grandes civilisations médiévales. A mes yeux, ces différences ne sont pas l’expression de supériorités ou d’infériorités. Après tout, la Chine ou l’Inde n’ont pas eu accès à la "raison grecque" : ce n’en sont pas moins de très grandes civilisations ! Finalement ce sont mes contradicteurs qui font de l’ethnocentrisme, comme s’ils avaient peur qu’on utilise "l’héritage grec" comme une échelle de valeur qui déboucherait sur une forme de racisme culturel. Or, pour moi ce n’est pas une échelle de valeur, mais simplement un critère de distinction.

En outre, dans les différences entre civilisations, les langues sont un facteur important, et de longue durée. Elles n’empêchent pas de communiquer puisque l’on peut traduire, mais les traductions posent des problèmes à leur tour. Il y a dans toutes les langues du monde des notions ou des concepts difficiles à traduire. Ce n’est pas un jugement de valeur mais le simple reflet de la diversité humaine et cette diversité est fascinante, son étude est enrichissante. J’ai découvert beaucoup à propos des Syriaques comme des philosophes musulmans. C’est à la pensée de Fernand Braudel que je me rattache. Enfin, ce n’est pas parce qu’au Moyen-Âge certains échanges ou certaines influences étaient impossibles, que c’est toujours le cas de nos jours, ou que ce sera le cas à l’avenir.

Riposte Laïque : Enfin, certains vous reprochent l’utilisation de certaines parties de votre livre par des sites d’extrême droite, quand on ne vous accuse pas d’avoir signé des commentaires racistes sur des sites Internet signés.

Sylvain Gouguenheim : Quelle réponse pouvez-vous donner ? Je n’ai signé aucun commentaire raciste nulle part. L’Internet est susceptible d’un nombre infini de fabrications, on le sait pour bien d’autres domaines. Mon éditeur a même trouvé un jour sur Internet un article entier de deux pages, signé de mon nom, sur un sujet général traitant du Moyen Âge, absolument pas polémique d’ailleurs, mais que je n’avais jamais écrit !. J’exprime par ailleurs fermement mon rejet de toute forme de racisme ou d’intolérance religieuse. J’ai expliqué aussi que mon manuscrit entier, ou des parties, avaient circulé auprès de nombreux relecteurs ou simplement amis. J’avais même déposé une première version chez un autre éditeur il y a 3 ans. Je n’estimais pas avoir à prendre de précautions particulières en traitant de l’impact d’Aristote sur les civilisations médiévales... mais il y a eu fuites, sur lesquelles non seulement je m’interroge mais j’enquête.

Riposte Laïque : Comment expliquez-vous le lynchage dont vous êtes l’objet ? Pensez-vous que, comme on l’a vu avec Redeker, l’affaire des caricatures de Mahomet, ou le procès qui a été fait à l’historien Olivier Pétré-Grenouillot à propos de son livre sur la traite négrière, la liberté d’expression soit muselée en France dès que l’on évoque des sujets sensibles comme l’islam, l’esclavage ou la colonisation ? Comment l’expliquez-vous ?

Sylvain Gouguenheim : Je crois que certaines personnes sont devenues très sensibles à certains sujets, au point que le fait d’en parler devient d’emblée suspect. Il faut lire les livres, les articles, mais ne pas prêter à leurs auteurs des pensées qu’ils n’expriment pas. Et si l’on a un doute, mieux vaut dialoguer que lancer une pétition. La phrase de Voltaire sur la tolérance est inversée, on en est à quelque chose du genre : "je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites et je me battrai pour que vous ne puissiez pas le dire" !

J’admets être critiqué, mais pas être déformé. J’ai l’impression que beaucoup de personnes ont lu certains passages, sans lire le livre en entier, ni s’attarder sur les mises en garde que je faisais figurer en introduction. C’est dommage. Je tiens à signaler que je reçois de nombreux soutiens de la part de collègues, d’étudiants et d’anciens étudiants. Sans se prononcer sur le contenu scientifique de mon livre, tous dénoncent la méthode utilisée contre moi. Ceux qui ont lu mon livre disent ne pas comprendre la violence des réactions. J’aimerais qu’un vrai débat scientifique soit lancé, poursuivi et que la connaissance progresse. Je suis, comme pour tous mes écrits, prêt à reconnaître des erreurs !

Propos recueillis par Christine Tasin

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